Un zoo dans la classe

J’ai rencontré
un crocodile aimable
un babouin sportif
un aigle royal traqueur
une tigresse de Sibérie discrète
une coccinelle heureuse
un tigre bagarreur
une petite chenille
une genette curieuse
une chèvre coquine
un beau tigre à dents de sabre
un gorille chasseur
un requin gourmand
un lynx inoubliable
un grand jaguar
une lionne intelligente
une jolie chouette des bois
une tigresse intrépide
une otarie joueuse
une panthère noire
une antilope blanche
un dodo mémorable

« une » dauphin mystérieuse
un lapin rapide
un guépard tranquille
un singe surexcité
un petit panda roux
un faucon taquin
un serpent ardent
un lion véloce
un coq faisan coriace
un chiot belge fou
un iguane astucieux
et une gazelle étincelante
sans oublier une biche sympathique
ni un renard célère.
Où ? Dans ma classe !

Anne Gilduine

Des panouilles abyssales

Le poète
il nous a raconté
que dans l’appartement où il habite
à Combourg
il y a une télé
bloquée sur C8.
Il ne peut capter aucune autre chaîne.
Alors il voit
parce qu’il n’a pas le choix
l’émission de Cyril Hanouna
Touche pas à mon poste.
Et il nous a dit
qu’il n’éteint pas tout de suite
parce que ça l’intéresse beaucoup
de « mesurer le niveau de bêtise
de cet animateur inculte
et de ses chroniqueurs panouilles ».
Pour conclure
il a dit ce mot : « abyssal ».
Dans le dictionnaire,
j’ai regardé,
ça signifie
« D’une profondeur comparable
à celle d’un abîme, d’un abysse ».
Et panouille : « Terme d’argot désignant
un individu stupide, lourdaud, abruti, niais ».

Anne Gilduine

L’odeur de la médiathèque

En allant à la médiathèque,
j’ai croisé le poète qui vient dans ma classe
et je l’ai embrassé
sans réfléchir
comme si c’était mon tonton
(ou mon grand-père),
mais il a eu l’air étonné
et je me suis sentie
un peu gênée.
Je crois qu’il était content,
quand même,
peut-être,
tout simplement,
parce que je l’avais reconnu.
Évidemment que je l’ai reconnu :
il est venu trois fois dans notre classe,
une matinée entière chaque fois.
Il nous a dit
(le poète)
qu’il ne savait pas ce que c’était
la poésie !
Il nous a pourtant appris
des trucs d’orthographe
et de typographie.
Il nous a même parlé d’étymologie
et d’anamnèse,
et du mot alias
pour dire un surnom.
J’adore les mots nouveaux
et je me souviendrai de tous,
promis !
Il nous a dit aussi que pour écrire,
il est important de n’oublier
aucun de nos cinq sens.
Alors je vais essayer
de bien sentir l’odeur de la médiathèque
et de trouver un mot pour la dire.
Mais avant
je me suis demandé
qui on a le droit d’embrasser
et qui on n’a pas le droit.
Je ne sais pas
s’il y a des règles pour ça
comme en orthographe
et en typographie.

Anne-Gilduine

Encore une faute !

J’adore l’orthographe

et, à dix ans, ça me plaît beaucoup,

quand j’en ai l’occasion,

de corriger les grandes personnes.

Je passe énormément de temps

plongée dans les dictionnaires

à vérifier et à apprendre l’orthographe des mots,

des noms communs et des noms propres.

À Combourg,

qu’on appelle « le berceau du romantisme »,

tout le monde connaît le nom

(et même la vie)

du grand écrivain

(romantique)

François-René de Chateaubriand.

Dans la ville,

il y a une statue de Chateaubriand,

une peinture murale représentant Chateaubriand,

une place Chateaubriand,

une rue Chateaubriand,

un cabinet immobilier Chateaubriand,

un opticien Chateaubriand,

un collège public François-René de Chateaubriand,

un lycée public François-René de Chateaubriand,

un cinéma Le Chateaubriand

(c’est écrit, rue de Malouas, « La » Chateaubriand,

tiens, une faute, là encore,

une faute qu’on dit d’inattention),

un magasin de lingerie Femmes romantiques,

une compagnie de taxis Pays de la Bretagne romantique,

un Espace Entreprises Bretagne Romantique (EEBR),

un restaurant Le Romantic

(écrit à l’anglaise,

ça fait bizarre en Bretagne,

mais c’est peut-être parce que Chateaubriand

s’était exilé à Londres…)

Il existe

(il a existé, plutôt)

un autre écrivain

(son voisin dans le dictionnaire des noms propres)

qui porte son patronyme (ou presque),

c’est Alphonse de Châteaubriant qui,

lui,

s’écrit comme la ville de Loire-Atlantique,

né (à Rennes)

et ayant vécu un siècle après François-René.

Châteaubriant (le Rennais) avec un accent circonflexe sur le premier a

et un t final,

et Chateaubriand (le nôtre) sans accent circonflexe

et avec un d final.

Voici donc où je voulais en venir :

écrire « Châteaubriand »

avec un accent circonflexe,

c’est une faute.

Et cette faute, on peut la voir

sur les plaques de la rue « Châteaubriand » (sic)

et de la place,

mais encore chez l’opticien

de la place Albert-Parent

qui ne doit pas avoir de lunettes correctrices (d’orthographe).

Bon, on me dit que

« les noms propres n’ont pas d’orthographe »,

mais si j’étais d’accord,

je pourrais donc écrire

que notre grand homme préféré s’appelle Shatobrillan

et que, moi, j’habite allée Frenssoize-Saghent à Konbhours !

 

Anne-Gilduine

Oh ! la faute !

Je suis en CM2

et, curieuse de mon avenir,

je suis allée repérer

le collège Saint-Gilduin

où j’irai l’année prochaine

et j’ai remarqué

à l’entrée

une faute d’orthographe,

mais il faut dire plutôt « de typographie ».

Sur un grand panneau est écrit,

en gros :

« de la 6ème à la 3ème ».

Mais j’ai appris,

avant les vacances,

qu’on doit écrire

(c’est une règle,

ça ne se discute pas !) :

« 6e et 3e ».

Oui, seulement un petit e,

en « exposant » dans le langage des informaticiens,

en « petite supérieure » dans le langage des typographes.

Ce qui démontre

que même les adultes

font des fautes.

Ceux qui ne me croient pas

peuvent aller vérifier

dans un livre qui s’appelle Code typographique,

un livre surtout destiné

aux imprimeurs ;

et ce livre,

moi,

je l’ai vu.

J’ai vu la page

où il est expliqué

pas 2ème mais 2e

donc pas 6ème mais 6e

(la classe dans laquelle j’entrerai en septembre 2018).

Anne-Gilduine

 

http://www.deluxeavenue.com/typo_erreurs_2eme.php

La poésie
dans les cinq sens

Au delà des thèmes des migrants et des frontières, cette résidence entend se placer sous le signe des cinq sens, pour ceci que la poésie ne doit en négliger aucun, et, partant, les célébrer, les interroger tous.

Cette phrase de Federico García Lorca peut servir d’exergue, ou de balise :

« Un poeta tiene que ser profesor en los cinco sentidos corporales. […] en este orden : vista, techo, oido, olfato y gusto. » (La imagen poética de Luis de Góngora, 1926).

Traduction : « Un poète doit être un savant dans les cinq sens corporels » (dans Conférences, interview, correspondance, Gallimard, 1960).

Mais, plutôt que « savant » ou « professeur », on pourra penser qu’il serait plus juste et surtout plus pertinent, voire plus modeste, de traduire (quitte à légèrement trahir l’auteur du Romancero gitano) par :

« Un poète doit être connaisseur dans les cinq sens corporels » ;

ou

« Un poète doit être attentif aux cinq sens corporels » ;

ou encore

« Un poète doit s’intéresser aux cinq sens corporels ».

Dans son texte « Aux sources mêmes de l’espérance » (recueilli dans l’Eau vive, Gallimard, 1943), Jean Giono voit également dans le poète un professeur, et il illustre presque parfaitement la leçon de Lorca ; il n’oublie qu’un sens, l’odorat (encore qu’il évoque « le parfum des étoiles »), privilégiant, ce qui peut surprendre, le toucher :

« Le poète doit être un professeur d’espérance. À cette seule condition, il a sa place à côté des hommes qui travaillent, et il a droit au pain et au vin. Car il ne travaille pas, lui, ce qu’il fait, il est obligé de le faire… Il est une sorte de monstre dont les sens ont une forte personnalité ; lui, le poète, il est là au milieu de ses bras, de ses mains, de ses yeux, de ses oreilles, de sa peau, comme un petit enfant emporté par les géants. Il est obligé de voir plus loin, il est obligé de pressentir. Il est là haut sur de formidables épaules et, l’horizon s’étant abaissé, son regard vole jusqu’au bout de l’horizon des poètes, et le parfum des étoiles tombe sur lui. Son travail à lui, c’est de dire. Il a été désigné pour ça. Les autres font. Alors, en toute justice, pour qu’il ait permission et droit de vivre, il doit être un professeur d’espérance. »

Un migrant
nommé Chateaubriand

Le premier thème proposé pour cette résidence étant Les migrants, il n’apparaît pas inintéressant d’interroger la vie et l’œuvre de Chateaubriand.
Risquant la guillotine en France, par le seul fait qu’il était aristocrate (« petite noblesse bretonne ») et portait un nom à particule, le vicomte François-René de Chateaubriand fuit la Terreur et son pays en 1793.
Le jeune homme de 24 ans se réfugie, s’exile, émigre à Londres. Il y restera sept années entières, vivant d’abord dans la misère, au fond d’un grenier où il souffre de la faim, ses maigres revenus provenant de quelques leçons et traductions.
Chateaubriand est l’étranger et les Anglais sont les étrangers de Chateaubriand ; le voilà donc haï par certains.

Or, le danger était bien réel : un an plus tard, son frère aîné, Jean-Baptiste, sera guillotiné à Paris en même temps que sa jeune femme et une partie de sa belle-famille.

C’est à Londres, la nuit, que Chateaubriand écrit son premier livre, Essai historique, politique et moral sur les révolutions anciennes et modernes, considérées dans leurs rapports avec la Révolution française, publié dans cette ville par Joseph de Boffe (alias J. Deboffe) en 1797.

Voici ce qu’on peut y lire, au chapitre VIII (Un mot sur les émigrés) de la IIe partie :

« […] pourquoi ravale-t-on les émigrés français au plus bas degré ? […] Les émigrés français, comme toute chose en temps de révolution, ont de violents détracteurs et de chauds partisans.

Pour les uns, ce sont des sont des scélérats, le rebut et la honte de leur nation : pour les autres, des hommes vertueux et braves, la fleur de l’honneur du peuple français. Cela rappelle le portrait des Chinois et des nègres : tout bons, ou tout méchants. […]

Un bon étranger au coin de son feu, dans un pays bien tranquille, sûr de se lever le matin comme il s’est couché le soir, en possession de sa fortune, la porte bien fermée, des amis au-dedans et la sûreté au-dehors, prononce, en buvant un verre de vin, que les émigrés français ont tort, et qu’on ne doit jamais quitter sa patrie : et ce bon étranger raisonne conséquemment. Il est à son aise, personne ne le persécute, il peut se promener où il veut sans crainte d’être insulté, même assassiné ; on n’incendie point sa demeure, on ne le chasse point comme une bête féroce […] Certes, dis-je, cet étranger pense qu’on a tort de quitter son pays.

C’est au malheur à juger du malheur. Le cœur grossier de la prospérité ne peut comprendre les sentiments délicats de l’infortune. Nous nous croyons forts au jour de la félicité […] »

 

Quelle différence y a-t-il entre ce Chateaubriand-là,

un père de famille de Gourin* émigrant aux États-Unis cent ans plus tard parce qu’il n’arrive plus à nourrir sa femme et ses enfants (« migrants économiques »),

l’écrivain Viet Thanh Nguyen, boat people vietnamien réfugié en Pennsylvanie en 1975,

et un habitant de Brazzaville fuyant, aujourd’hui, les milices qui assassinent le moindre opposant, et tentant de gagner la France pour sauver sa peau ?

 

* Morbihan, à 150 kilomètres de la Bretagne romantique.

La poésie
ne connaît pas de frontières

Résidence. Résidence libre. Proposée et acceptée. À l’opposé d’une résidence surveillée. Mais pour faire quoi, pour parler de quoi ?

• La question des migrants, en France et en Europe, est d’actualité. Tous, nous en parlons, comme les journaux, les radios, les télévisions ; parfois, sans très bien savoir. Avec des élèves de CM2 et de 6e, jusqu’à Noël, nous évoquerons ce sujet (qui, ils le disent, les touche profondément), dans des échanges libres.

• S’interroger sur les migrants, c’est s’interroger sur les frontières. Qu’arrêtent les frontières et que laissent-elles passer ? Grandes questions, là encore.

• Et, au delà, la poésie, puisque nous ne saurions nous arrêter sur un seul thème, puisque toute conversation doit s’ouvrir. Et, justement : poésie & frontières. Là, nous tenterons de comprendre que la poésie ne connaît pas de frontières.
– Romancière, nouvelliste, autrice de pièces de théâtre et poétesse d’origine syro-libanaise née en Égypte et ayant vécu en France depuis l’âge de 26 ans, Andrée Chedid (en arabe : أندريه شديد), de son nom de naissance Andrée Saab (1920-2011), mère et grand-mère des chanteurs Louis et Matthieu Chedid (-M-), confiait au poète Bernard Mazo, dans un entretien donné à la revue Poésie 1 en mars 2000 :
« […] pour moi la poésie doit être hors frontières, au vif, au cœur de l’homme dans son universalité. »

– Et Julos Beaucarne, chanteur (en langues française et wallonne), conteur, poète, comédien, écrivain et sculpteur belge né à Écaussinnes (province de Hainaut) en 1936, déclarait le 31 janvier 2011 sur France Culture :
« La poésie n’a aucune frontière. »
Julos Beaucarne qui chante (album Vingt ans depuis quarante ans, 1997) :
« Ton Christ est juif
Ta voiture est japonaise
Ton couscous est algérien
Ta démocratie est grecque
Ton café est brésilien
Ton chianti est italien
Et tu reproches à ton voisin d’être un étranger… »