Un migrant
nommé Chateaubriand

Le premier thème proposé pour cette résidence étant Les migrants, il n’apparaît pas inintéressant d’interroger la vie et l’œuvre de Chateaubriand.
Risquant la guillotine en France, par le seul fait qu’il était aristocrate (« petite noblesse bretonne ») et portait un nom à particule, le vicomte François-René de Chateaubriand fuit la Terreur et son pays en 1793.
Le jeune homme de 24 ans se réfugie, s’exile, émigre à Londres. Il y restera sept années entières, vivant d’abord dans la misère, au fond d’un grenier où il souffre de la faim, ses maigres revenus provenant de quelques leçons et traductions.
Chateaubriand est l’étranger et les Anglais sont les étrangers de Chateaubriand ; le voilà donc haï par certains.

Or, le danger était bien réel : un an plus tard, son frère aîné, Jean-Baptiste, sera guillotiné à Paris en même temps que sa jeune femme et une partie de sa belle-famille.

C’est à Londres, la nuit, que Chateaubriand écrit son premier livre, Essai historique, politique et moral sur les révolutions anciennes et modernes, considérées dans leurs rapports avec la Révolution française, publié dans cette ville par Joseph de Boffe (alias J. Deboffe) en 1797.

Voici ce qu’on peut y lire, au chapitre VIII (Un mot sur les émigrés) de la IIe partie :

« […] pourquoi ravale-t-on les émigrés français au plus bas degré ? […] Les émigrés français, comme toute chose en temps de révolution, ont de violents détracteurs et de chauds partisans.

Pour les uns, ce sont des sont des scélérats, le rebut et la honte de leur nation : pour les autres, des hommes vertueux et braves, la fleur de l’honneur du peuple français. Cela rappelle le portrait des Chinois et des nègres : tout bons, ou tout méchants. […]

Un bon étranger au coin de son feu, dans un pays bien tranquille, sûr de se lever le matin comme il s’est couché le soir, en possession de sa fortune, la porte bien fermée, des amis au-dedans et la sûreté au-dehors, prononce, en buvant un verre de vin, que les émigrés français ont tort, et qu’on ne doit jamais quitter sa patrie : et ce bon étranger raisonne conséquemment. Il est à son aise, personne ne le persécute, il peut se promener où il veut sans crainte d’être insulté, même assassiné ; on n’incendie point sa demeure, on ne le chasse point comme une bête féroce […] Certes, dis-je, cet étranger pense qu’on a tort de quitter son pays.

C’est au malheur à juger du malheur. Le cœur grossier de la prospérité ne peut comprendre les sentiments délicats de l’infortune. Nous nous croyons forts au jour de la félicité […] »

 

Quelle différence y a-t-il entre ce Chateaubriand-là,

un père de famille de Gourin* émigrant aux États-Unis cent ans plus tard parce qu’il n’arrive plus à nourrir sa femme et ses enfants (« migrants économiques »),

l’écrivain Viet Thanh Nguyen, boat people vietnamien réfugié en Pennsylvanie en 1975,

et un habitant de Brazzaville fuyant, aujourd’hui, les milices qui assassinent le moindre opposant, et tentant de gagner la France pour sauver sa peau ?

 

* Morbihan, à 150 kilomètres de la Bretagne romantique.

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