Au 22 allées des Irlandais, à Massy-Palaiseau, je vivais au 4ème étage d’une HLM immensément longue. Un jour d’ennui, je devais avoir 10 ans, j’ai jeté de mon balcon ma collection de portes clefs. 1000 porte-clefs de toutes les formes et de toutes les couleurs. En bas, dans le terrain vague, des dizaines d’enfants se bousculaient sur les brillants. Je comprends seulement aujourd’hui que je distribuais à qui veut des poèmes avant même d’en écrire. J’étais si seul avec ma collection ! J’ai gardé, depuis, un grand cahier bleu Héraclès dans lequel un instituteur de CM2 m’a fait écrire au propre et en écriture scripte, des poèmes de François Villon, Guillaume Apollinaire, Rutebeuf, Paul Eluard, Molière…et celui-ci du philosophe Alain.
La poésie est la clef de l’ordre humain et comme j’ai dit souvent le miroir de l’âme. Mais non pas la niaise poésie, que l’on rime exprès pour les enfants. Au contraire, la plus haute poésie, la plus vénérée. Là-dessus on trouve souvent à dire que l’enfant ne comprendra guère. Sans doute il ne comprendra pas d’abord. Mais la puissance de la poésie est en ceci, à chaque lecture, que d’abord, avant de nous instruire, elle nous dispose par les sons et le rythme, selon un modèle humain universel. Et cela est bon aussi pour l’enfant, surtout pour l’enfant.
Extrait de UN FRANÇAIS-FRANÇAIS À VAULX-EN-VELIN
à paraître aux éditions La Passe du Vent début 2016